Pleins feux sur : Anthony Mohamed 

De membre du personnel hospitalier à patient hospitalisé

Mars 2023

Anthony Mohamed

Exposition de photos Queer Elders (septembre 2020) 

Je me souviens avoir marché jusqu’à mon vélo devant l’hôpital St Michael, où je travaillais depuis 1995. Il était environ 17 heures, un beau lundi soir de la fin du mois d’août 2015. Je discutais avec un collègue, lui racontant notre séjour amusant en camping la semaine précédente, mais que j’avais des maux de dos si sévères que j’avais dû demander de l’aide pour sortir du lit superposé où je dormais. J’avais donc pris rendez-vous avec mon médecin de famille le lendemain (le mardi).  


Cela faisait environ un an que je ressentais de fortes douleurs dans le dos et les côtes, mais comme je faisais beaucoup de sport, mon médecin m’avait prescrit des relaxants musculaires et des médicaments contre l’arthrite.

Après notre discussion ce fameux lundi soir, je me suis penché pour déverrouiller mon vélo, mais soudainement, je ne pouvais plus bouger. J’ai ressenti une étrange perte de sensibilité dans le dos et les jambes. Peu de temps après cette perte de sensibilité, j’ai pu recommencer à bouger, mais par prudence, mon ami m’a accompagné au service des urgences. Ils ont fait une radiographie et ont trouvé de multiples fractures dans la partie supérieure de ma colonne vertébrale. Le médecin m’a renvoyé chez moi en me disant tout simplement de consulter mon médecin de famille le lendemain. J’ai fait 30 minutes de vélo pour rentrer chez moi et je me souviens avoir ressenti chaque petite bosse. 

Le lendemain matin, j’ai pris l’autobus pour me rendre chez le médecin. Je ne pouvais même pas me tenir debout ou m’asseoir et j’ai demandé au chauffeur d’essayer d’éviter les trous, parce que j’avais des fractures dans la colonne vertébrale. Il m’a demandé si c’était une bonne idée que je voyage en autobus. Comme mon médecin de famille était malade ce jour-là, j’ai consulté un autre médecin de la clinique qui a demandé à un résident de procéder à mon évaluation. Après avoir palpé ma nuque et examiné les résultats des radiographies, il a fait venir le médecin qui le supervisait. Ils m’ont dit qu’ils voulaient que je retourne à l’hôpital pour des radiographies plus complètes.  

Comme j’avais une réunion au travail cet après-midi-là, je me suis dit que j’irais passer les radiographies par la suite. À mon arrivée à la réunion, les autres participants m’ont dit que je n’avais pas l’air bien. J’ai expliqué que j’avais des maux de dos et ils m’ont recommandé d’aller sur-le-champ au service d’imagerie médicale. Le technicien avait l’air surpris des résultats et a appelé son superviseur. Tous deux ont regardé l’écran, puis m’ont regardé et se sont regardés l’un l’autre. J’ai demandé ce qui n’allait pas, mais ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas autorisés à me dire quoi que ce soit. Cependant, ils me « recommandaient fortement » de me rendre immédiatement aux urgences, où ils enverraient les résultats. 

Deux jours avant le diagnostic (août 2015) 

Je suis descendu aux urgences et, presque immédiatement, on m’a dit de m’allonger et on m’a installé un collier cervical. Ils avaient trouvé de nombreuses fractures dans ma colonne vertébrale et mes côtes, et plusieurs trous à l’arrière de mon crâne. Ils m’ont dit que je serais bientôt admis et que je devrais subir une série d’examens et d’imageries.


J’ai appelé mon conjoint Rick, mes parents, mes sœurs, mes nièces et neveux pour leur dire que quelque chose n’allait pas. Ils sont tous venus , de part et d’autre de la région du Grand Toronto, mais on ne nous a donné aucune information supplémentaire.  


Ce n’est que vers 21 heures qu’un médecin résident est venu me rendre visite et m’a dit qu’ils croyaient qu’il s’agissait d’un type de cancer, mais qu’ils avaient besoin de passer d’autres examens pour le confirmer. On allait me transférer dans une chambre d’hôpital dès qu’il y en aurait une de disponible.

Vers 2 heures du matin, je me suis réveillé, toujours au service des urgences, et j’ai eu besoin d’aller aux toilettes. J’ai sonné, mais comme personne n’est venu, je me suis levé en traînant mon support pour intraveineuse. Le sol était humide et j’ai glissé après avoir verrouillé la porte.

En tombant sur le sol, j’ai ressenti une douleur atroce et j’ai également uriné sur moi. Je ne savais pas quoi faire. J’ai rampé sur le sol mouillé pour tirer le cordon rouge. Après ce qui m’a semblé être une éternité, probablement 10 minutes, une infirmière est arrivée, mais elle n’a pas pu me relever. Elle a appelé l’aide-soignante qui m’a installé dans un fauteuil roulant.  

Personne, pas même moi, ne se doutait que j’étais désormais complètement handicapé. Ma colonne vertébrale s’était affaissée et mes côtes étaient fracturées.


J’ai appris plus tard que j’avais perdu environ

7 centimètres de taille à ce moment-là, et que mon thorax était complètement comprimé.  

Je suis resté dans ce fauteuil jusqu’à

5 heures du matin, après quoi on m’a transféré dans une chambre. Deux porteurs ont essayé de me soulever jusqu’à mon lit, mais je me suis évanoui à cause de la douleur. Les infirmières n’ont pas eu d’autre choix que de me mettre en couche et de m’allonger dans le lit. Elles m’ont également administré un grand nombre de laxatifs.


Pour couronner le tout, ce sont mes collègues immédiats, avec qui je dînais habituellement, qui devaient me nettoyer. Le mercredi et le jeudi, ils ont dû placer un sac à ordures sous moi pour me faire glisser sur une civière afin de passer plusieurs examens par IRM et d’autres tests. Je me suis évanoui plusieurs fois à cause de la douleur.

Deux mois après la première greffe de cellules souches (mars 2016) 

Après une horrible extraction de moelle osseuse le jeudi après-midi, deux médecins sont venus le soir même m’annoncer que j’étais atteint d’un myélome multiple, un cancer dont je n’avais jamais entendu parler. C’était le 27 août 2015, et je n’avais que 47 ans. 

Un mois avant le diagnostic à la Pride House lors des Jeux panaméricains (juillet 2015)

Depuis le mardi soir, j’étais dans un état second. Lorsque les autres parlaient, je ne croyais pas vraiment qu’ils parlaient de mon incapacité à bouger, du cancer et du fait que je vivais avec un handicap physique grave.


Moi? J’avais escaladé des montagnes, participé à des tournois internationaux de karaté, je n’avais jamais fumé ou eu de voiture, et je me déplaçais partout à vélo.


Les médecins m’ont demandé de signer plusieurs documents pour commencer le traitement le lundi suivant et m’ont expliqué que les choses allaient empirer avant de s’améliorer. J’ai signé, mais vu l’état dans lequel je me trouvais, je n’ai pas eu l’impression de donner mon consentement en connaissance de cause.  

Du même coup, le service des ressources humaines est venu à ma chambre me porter des formulaires d’assurance invalidité à remplir, des comptables sont venus régler les factures de l’hôpital et de nombreux spécialistes se sont présentés pour recommander des traitements supplémentaires.

Trois jours plus tard, j’ai commencé le traitement CyBorD (cyclophosphamide, bortézomib et dexaméthasone), qui a été suivi d’une greffe de cellules souches, d’une radiothérapie, de plus de 60 comprimés par jour, de centaines d’injections, d’un renforcement osseux par intraveineuse pendant deux ans, d’une éventuelle cyphoplastie et vertébroplastie pour injecter du ciment dans certaines de mes vertèbres afin d’atténuer la douleur, puis de puissants traitements d’entretien pour éviter les rechutes.  

Je suis resté allongé dans ce lit d’hôpital plus d’un mois,

au cours duquel j’ai eu plus de 300 visiteurs, dont plusieurs venaient me dire au revoir.


Je me suis évanoui plusieurs fois à cause de la douleur et je n’ai reçu que des bains à l’éponge, mais étrangement, je n’ai jamais eu l’impression que ma vie était terminée.  

Rechute et deuxième greffe de cellules souches

(novembre 2021)

À ma sortie de l’hôpital, je ne savais même pas si je parviendrais à monter les marches pour me rendre à la porte, mais nous y sommes parvenus. Recevoir des soins à domicile pendant des années et ne sortir de la maison que pour les traitements a été particulièrement éprouvant. Je n’étais plus du tout en forme, j’avais perdu presque tous mes muscles.


Je n’ai pas eu d’érection pendant près d’un an; mon corps était tout simplement trop sollicité. Bien que ça puisse sembler très personnel, je crois que c’est important d’en parler. La dysfonction érectile et les autres effets secondaires liés à la sexualité peuvent avoir un effet dévastateur sur la plupart des hommes, et je ne fais pas exception.   

Malheureusement, j’ai fait une rechute en 2021, ce qui a entraîné quatre mois supplémentaires de CyBorD et une deuxième greffe de cellules souches, d’où la rémission partielle que je connais actuellement.


Je ne suis pas de traitement d’entretien, car mon oncologue souhaite conserver ces médicaments pour la prochaine rechute, qu’elle prévoit dans moins d’un an. 

Vous voulez en connaître plus sur moi?

Je suis né à Trinité-et-Tobago, mais j’ai vécu au Canada la majeure partie de ma vie. Je suis le descendant de travailleurs indiens sous contrat qui ont été amenés par les Britanniques au milieu des années 1800 pour couper la canne à sucre après l’émancipation des Africains.

Au Mexique avec Rick (octobre 2022)

Nous avons été élevés dans la foi chrétienne, et j’ai toujours une foi solide. Cette foi m’aide à faire face au racisme systémique et à l’homophobie dont je suis victime au Canada, à m’accepter en tant qu’homosexuel et à confier mon myélome et d’autres problèmes de santé aux soins de Dieu.



Après avoir dévoilé mon homosexualité en 1983, je me suis fortement impliqué dans de nombreux mouvements de justice sociale, notamment en lien avec le VIH/sida. Ma carrière a été centrée sur la quête de l’équité dans le milieu de la santé, tant à Toronto qu’à l’international.

De nombreuses réalisations liées à l’équité que j’estimais au départ très satisfaisantes pour la société, telles que l’amélioration de l’accès pour les personnes handicapées, m’ont déçu lorsque j’ai moi-même pu constater que les bosses sur le trottoir, les obstacles à franchir pour obtenir de l’aide financière ou l’attitude froide des autres ébranlaient mon amour-propre. Wheel-Trans, le système de transport adapté de Toronto, est formidable lorsqu’il fonctionne, mais ridiculement inutile lorsqu’il ne fonctionne pas. 


Au printemps 2016, j’ai décidé d’essayer de trouver d’autres personnes pour obtenir du soutien. Je suis allé au Gilda’s Club et à Wellspring, mais j’ai commencé par le groupe de soutien aux personnes touchées par un myélome de Toronto (Toronto & District Multiple Myeloma Support Group).

C’était un groupe auquel je n’avais jamais eu envie de participer et lorsque je suis entré avec mon déambulateur, je me suis mis à pleurer.


Munira, une femme que je n’avais jamais rencontrée, est venue me serrer si fort dans ses bras que j’ai laissé couler toutes mes larmes sur son épaule. Je savais qu’elle était également atteinte d’un myélome multiple et qu’elle était d’origine sud-asiatique, ce qui m’a donné un sentiment d’appartenance.

J’ai fini par me lier d’amitié avec seulement deux autres hommes ouvertement gais atteints d’un myélome multiple dans tout le Canada, mais malheureusement, tous deux sont décédés depuis.


Depuis que j’ai dû cesser de travailler en 2015, j’ai du mal à trouver un sens à ma vie, mais d’autres me disent que le fait de partager mon histoire pourrait m’aider à cet égard. Je me suis impliqué bénévolement auprès de nombreux groupes communautaires en partageant mon expertise en matière d’équité en santé, j’ai recommencé à faire du vélo et à voyager. Mon conjoint Rick, ma famille, mes amis, mon église et mon équipe de soins ont joué un rôle déterminant dans mon parcours avec le myélome.  

Parents et sœurs (août 2022)

Je vous encourage à rester forts, à demander de l’aide, à faire preuve de gratitude et à être gentils avec les autres puisqu’on ne sait jamais les difficultés auxquelles ils font face


Anthony 

Note du rédacteur: Pour trouver un groupe de soutien dans votre région, ou pour savoir comment en créer un, cliquez ici ou communiquez avec Michelle Oana, directrice du développement et relations communautaires à moana@myelome.ca.

Nous espérons que vous apprécierez rencontrer nos étoiles de la rubrique « Pleins feux » en 2023 et les autres membres de la communauté de Myélome Canada. La rubrique « Pleins feux » de notre infolettre « Manchettes Myélome » présente le témoignage et les réflexions de membres de notre communauté, qu’ils soient patients, proches aidants ou professionnels de la santé. Les opinions exprimées et partagées sont celles de la personne qui s’exprime. Nous reconnaissons que le parcours et l’expérience de chacun sont différents. 


À vous tous qui avez partagé votre témoignage par le passé, ainsi qu’à ceux qui le font encore aujourd’hui, nous vous sommes reconnaissants… vous êtes une source d’inspiration.  


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